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SÉQUENCE V : LA PROPHÉTIE OU LE FUTUR DU PASSÉ
IV. Le mystère des images (2)
At Caesar*, triplici invectus* Romana triumpho
moenia, dis* Italis votum immortale sacrabat*,
maxima ter centum totam delubra per urbem.
Laetitia ludisque viae plausuque fremebant;
omnibus* in templis matrum chorus, omnibus arae;
ante aras terram caesi stravere* iuvenci.
Ipse, sedens niveo candentis limine Phoebi*,
dona recognoscit populorum aptatque superbis
postibus : incedunt victae longo ordine gentes,
quam variae linguis, habitu tam vestis et armis.
(...)
Talia per clipeum Vulcani, dona parentis*,
miratur rerumque ignarus imagine gaudet,
attollens humero famamque et fata nepotum.
VIRGILE, Enéide, 8, 714-723, 729-731.
*Caesar : César (ici = Auguste)
*invehere: transporter dans; au passif : arriver dans
*dis = deis
*votum sacrare : consacrer aux dieux ce qu'on leur a promis votum)
*omnibus (arae) : dat.
*stravere : 3e p. pl.du parfait actif de sternere
*limine Phoebi : sur le seuil (du temple) d' Apollon
*parentis : ici, désigne Vénus, la mère d'Enée
ante, inv. : prép+acc., devant, avant ; adv. avant
apto, as, are : accrocher
ara, ae, f. : l'autel
arma, orum, n. : les armes
at, inv. : mais
attollo, is, ere : élever, hausser
caedo, is, ere, cecidi, caesum : abattre, tuer
Caesar, aris, m. : César, empereur
candeo, es, ere, candui, - : être blanc, éclatant
centum, inv. : cent
chorus, i, m. : la danse en choeur, le choeur, la troupe
clipeus, i, m. : le bouclier
delubrum, i, n. : le temple, le sanctuaire
dono, as, are : alicui aliquod, ou aliquem aliqua re : donner
qqch à qqun
donum, i, n. : le présent, le cadeau
et, conj. : et, aussi
fama, ae, f. : la nouvelle, la rumeur, la réputation
fatum, i, n. : le destin (surtout au pluriel)
for, aris, fari : parler, dire
fremo, is, ere, fremui, fremitum : faire entendre un bruit
sourd, dire en frémissant
gaudeo, es, ere, gauisus sum : se réjouir
gens, gentis, f. : la tribu, la famille, le peuple
habitus, us, m. : la manière d'être, l'apparence, l'habit
humerus, i, m. : l'épaule
ignarus, a, um : qui ne connaît pas, ignorant, inconnu
imago, inis, f. : l' imitation, l'image
immortalis, e : immortel
in, prép. : (acc. ou abl.) dans, sur, contre
incedo, is, ere, incessi, incessum : s'avancer, envahir,
prendre possession de
inueho, is, ere, uexi, uectum : faire entrer (en charriant)
dans (in et acc.), importer, amener. - invehi, moyen - passif:
se précipiter sur, attaquer (pr. et fig.) ; entrer dans (in et
acc., qqf. acc. seul). - se invehere : se porter en avant
ipse, ipsa, ipsum : même (moi-même, toi-même, etc.)
Italus, a, um : italien
iuuencus, i, m. : le jeune taureau
laetitia, ae, f. :la joie
limen, inis, n. : le seuil, l'entrée
lingua, ae, f. : la langue
longus, a, um : long
ludo, is, ere, lusi, lusum : jouer
ludus, i, m. : le jeu, l'école
mater, tris, f. : la mère
maximus, a, um : superlatif de magnus : grand
miror, aris, ari : s'étonner
moenia, ium, n. : les murs, les murailles
nepos, otis, m. : le petit fils ; péj. : le dissipateur, le
dépensier
niueus, a, um : de neige
omnis, e : tout
ordino, as, are : mettre en ordre, organiser
ordo, inis, m. : l'ordre
parens, entis, m. : parent
pareo, es, ere, ui, itum : obéir
per, prép. : (acc) à travers, par
Phoebus, i, m. : nom grec d'Apollon
plausus, us, m. : le battement (des ailes ou des pieds),
l'applaudissement
populus, i, m. : le peuple
postis, is, m. : le montant (de porte)
quam, inv. : que, combien
qui, quae, quod, pr. rel : qui, que, quoi, dont, lequel..., après
si, nisi, ne, num = aliqui
recognosco, is, ere, oui, itum : passer en revue
res, rei, f. : la chose
Romanus, a, um : Romain
sacro, as, are : consacrer, dédicacer
sedeo, es, ere, sedi, sessum : être assis
sterno, is, ere, stravi, stratum : étendre à terre, abattre,
renverser, joncher, couvrir, paver de (+ abl.). - lectum :
dresser un lit. - equum sternere : seller un cheval. - (viam)
sternere : paver un chemin. - sterni (au passif) : s'étendre
sternere : dormir. - humi stratus : étendu à terre. - aliquem
leto (morte) sternere : étendre mort qqn, abattre qqn
mortellement
superbus, a, um : orgueilleux
talis, e : tel ; ... qualis : tel.. que
tam, inv. : si, autant
templum, i, n. : le temple
ter, inv. : trois fois
terra, ae, f. : la terre
totus, a, um : tout entier
triplex, icis : triple
triumpho, as, are : remporter un triomphe
triumphus, i, m. : le triomphe
uarius, a, um : varié, divers
uestis, is, f. : le vêtement
uia, ae, f. : la route, le chemin, le voyage
uinco, is, ere, uici, uictum : vaincre
uotum, i, n. : le voeu, l'offrande
uoueo, es, ere, uoui, uotum : promettre par un voeu, jurer
urbs, urbis, f. : la ville
Vulcanus, i, m. : Vulcain, le feu
Commentaires :
Vénus a obtenu de Vulcain des armes pour Enée. Virgile décrit
longuement le bouclier ouvragé (1).
Le choix des extraits nécessite un mot de justification; ont
été sélectionnés ici :
1. le début : Ascagne, Romulus et Rémus;
2. la fin : le triomphe d'Auguste;
3. la conclusion : l'étrange plaisir d'Enée.
1 et 2 impliquent un récit "complet" de l'histoire
romaine; de plus, les faits évoqués en 1 sont bien connus
et ceux évoqués en 2 ne nécessitent pas qu'on entre
dans le détail du commentaire historique.
La décoration du bouclier présente bien les caractères
de la prophétie : elle est l'oeuvre de quelqu'un (en l'occurrence,
un dieu) qui a connaissance de l'avenir; elle "énonce"
ce qui adviendra (2); elle use d'un langage clair, c'est-à-dire
non symbolique (mais il ne s'agit pas de paroles, ce qui posera un problème
à Enée).
La prophétie de Vulcain dévide le fil de l'histoire à
partir des origines (ab Ascanio), mais n'annonce rien qui concerne personnellement
Enée.
Les v. 714 - 723 décrivent le triple triomphe d'Auguste en 29.
Il dura trois jours et célébra, entre autres, la victoire
d'Actium (31). Le détail historique importe peu. On peut noter
les points suivants :
1. La vision subit une dilatation impossible à contenir dans
les limites de l'objet décrit (triplici totam per urbem, omnibus
in templis, ...).
2. Le tableau acquiert une sorte d'autonomie qui lui permet d'intégrer
des notations auditives (laetitia, plaususque, chorus, ...) ...
3. ... et le mouvement (incedunt) (3).
S'agit-il d'une incohérence de Virgile, "oubliant" qu'il
décrit un objet réduit, muet et inerte ? Ce n'est pas sûr
: d'abord, il suit en cela aussi l'exemple d'Homère, ensuite, l'ampleur
de la description et la vie qui y est insufflée accroissent l'impression
de fabuleux, de surnaturel (et en cela, le bouclier d'Enée surpasse
celui d'Achille puisqu'il décrit l'avenir). Enfin, le bouclier
est présenté comme une image de totalité; la forme
de l'objet n'est d'ailleurs pas sans signification : le cercle est le
symbole de l'universel.
La conclusion est fort belle : Enée contemple le cadeau maternel
et, sans le comprendre (rerum ignarus), il en tire un plaisir esthétique.
En effet, privées de commentaires, ces images du futur sont indéchiffrables
par Enée (4). Le lecteur antique faisait d'ailleurs fort probablement
la démarche inverse : alors qu'Enée ne peut mettre de nom
sur les images, le lecteur qui recevait une
description verbale des scènes figurant sur le bouclier pouvait
les associer à des images (bas-reliefs, peintures, ...) qui lui
étaient familières (5) ou à des souvenirs personnels
(triomphe d'Auguste).
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(1) On ne peut comprendre la pleine signification de ce passage sans
se référer à l'Iliade. Il est clair que la connaissance
d'Homère fait partie du "contrat auteur-lecteur" et que
les jeux de miroir auxquels se livre Virgile avaient pour ses lecteurs
un
sens immédiat que nous ne pouvons retrouver que laborieusement.
Cependant, dans ce cas précis, il me semble plein d'intérêt
d'opérer la confrontation, car une différence radicale sépare
les deux auteurs. Homère brosse un tableau à signification
cosmique; Virgile inscrit sur le bouclier une narration historique. Le
bouclier d'Enée, c'est Tite-Live en bandes dessinées (et
sans
phylactères).
(2) Le caractère énonciatif apparaît dans la construction
grammaticale elle-même; fecerat d'abord construit avec des acc.
COD
(genus, bella) est ensuite suivi de la prop. inf.; il est donc l'équivalent
d'un v. déclaratif.
(3) Il n'est pas impossible de représenter dans une oeuvre sculpturale
des gens qui "s'avancent" (par ex., la procession des
Panathénées au Parthénon), mais on trouvera ailleurs
dans la description du bouclier des notations "animées"
beaucoup moins
réalisables - voir la description de la bataille d'Actium (v. 675
- 713).
(4) Enée a pourtant des lumières sur l'avenir de sa race
: au chant 6, Anchise lui a montré les grands hommes de Rome qui
sont
encore à naître. PLESSIS - LEJAY, p. 660, font justement
remarquer que seule, la figure d'Auguste est commune aux deux
évocations et que par conséquent, elles se complètent,
mais ne s'éclairent pas mutuellement. Ainsi, Anchise nomme Romulus
comme fondateur de Rome, mais ne mentionne pas la louve. Par conséquent,
Enée sait que Romulus viendra, mais il ne peut
pas savoir que c'est lui qui est représenté enfant sur le
bouclier.
(5) L.-A. CONSTANS, L'Enéide de Virgile, p. 50 - 51.
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