II. Le devin et le dieu (2)
Enée est endormi au bord du Tibre. Le dieu-fleuve lui apparaît
en rêve.
"O sate* gente deum*, Troianam ex hostibus urbem
qui revehis nobis aeternaque Pergama servas,
expectate*solo Laurenti arvisque Latinis,
hic tibi certa domus, certi (ne absiste) Penates;
neu belli terrere* minis : tumor omnis et irae
concessere deum.
Iamque tibi, ne vana putes haec fingere somnum,
litoreis ingens inventa sub ilicibus sus,
triginta capitum fetus enixa iacebit,
alba, solo recubans, albi circum ubera nati.
Hic locus urbis erit, requies ea certa laborum;
ex quo* ter denis urbem redeuntibus annis
Ascanius clari condet cognominis Albam.
Haud incerta cano. (...)
Ecce autem, subitum atque oculis mirabile monstrum!
Candida per silvam cum fetu concolor albo
procubuit viridique in litore conspicitur sus :
quam pius Aeneas tibi enim, tibi, maxima Iuno,
mactat sacra ferens, et cum grege sistit ad aram.
VIRGILE, Enéide, 8, 36-49 ; 81-85.
*sate : voc. du part. p. p. de serere
*deum = deorum
*expectate : voc. de expectatus
*terrere : 2e sg. impér. prés. passif
*ex quo (loco)
absisto, is, ere, stiti, - : s'éloigner, renoncer
ad, inv. : vers, à, près de
Aeneas, Enée
aeneus, a, um : d'airain, de bronze
aeternus, a, um : éternel
albus, a, um : blanc
annus, i, m. : l'année
ara, ae, f. : l'autel
aruum, i, n. : la terre, le champ, la plaine
Ascanius, i, m. : Ascagne = Iule
atque, inv. : et, et aussi (= ac)
autem, inv. : or, cependant, quant à -
bellum, i, n. : la guerre
bellus, a, um : joli, mignon
candidus, a, um : blanc
cano, is, ere, cecini, cantum : chanter
canus, a, um : blanc (en parlant des cheveux ou de la barbe)
caput, itis, n. :la tête
certo, as, are : combattre, concourir
certus, a, um : certain
circum, adv. : à l'entour ; prép. acc. : autour de
circus, i, m. : cirque
clarus, a, um : célèbre
cognomen, inis, n. : le surnom, le cognomen (partie du nom
qui suit le gentilice)
concedo, is, ere, cessi, cessum : accorder
concolor, oris : de la même couleur
condo, is, ere, didi, ditum : cacher, enfermer, enterrer
conspicio, is, ere, spexi, spectum : apercevoir
cum, inv. : conj., comme ; prép, avec
deni, ae, a : dix
deus, i, m. : le dieu
domus, us, f. : la maison ; domi : à la maison
ecce, inv. : voici, voici que
enim, inv. : car, en effet
enitor, eris, i, nisus ou nixus sum : faire un effort, accoucher,
mettre bas
et, conj. : et, aussi
ex, prép. : (+abl) hors de, de
expectatus, a, um : attendu
fero, fers, ferre, tuli, latum : porter, supporter, rapporter
fetus, a, um :plein de
fetus, us : m. : l'enfantement, la couche, la portée (des
animaux), les petits
fingo, is, ere, finxi, fictum : modeler, imaginer. part. fictus :
feint
gens, gentis, f. : la tribu, la famille, le peuple
grex, gregis, m. : le troupeau
haud, inv. : vraiment pas, pas du tout
hic, adv. : ici
hic, haec, hoc : ce, cette, celui-ci, celle-ci
hostis, is, m. : l'ennemi
iaceo, es, ere, cui, citurus : être étendu, s'étendre
iam, inv. : déjà, à l'instant
ilex, ilicis, f. : l'yeuse (sorte de chêne)
in, prép. : (acc. ou abl.) dans, sur, contre
incertus, a, um : incertain
ingens, entis : immense, énorme
inuenio, is, ire, ueni, uentum : trouver
ira, ae, f. : la colère
is, ea, id : ce, cette
Iuno, onis, f. : Junon
labor, oris, m. : la peine, la souffrance, le travail pénible
Latinus, a, um : Latin
Latinus, i, : Latinus (roi des Laurentes)
Laurentes, um : les Laurentes (peuple du Latium)
litoreus, a, um : du littoral
litus, oris, n. : le rivage
locus, i, m. : le lieu
macto, as, are : sacrifier
maximus, a, um : superlatif de magnus : grand
mina, tj au pl. : minae, arum : les menaces
mirabilis, e : étonnant, admirable, merveilleux
monstrum, i, n. : tout ce qui sort de la nature, le monstre, la
monstruosité
nascor, eris, i, natus sum : naître
natus, i, m. : sing. (poét.) le fils, plur. : les petits d'un animal
ne, inv. : pour que... ne... pas, de peur que, que
neu, conj. : et que ne pas
nos, nostrum : nous, je
o, inv. : ô, oh (exclamation)
oculus, i, m. : l'oeil
omnis, e : tout
penates, ium, m. pl. : pénates
per, prép. : (acc) à travers, par
Pergama, orum, n. : Pergame (forteresse de Toie)
pius, a, um : pieux, juste
procumbo, is, ere, cubui, cubitum : se pencher, tomber à terre
puto, as, are : penser, considérer comme
quam, inv. : que, combien
qui, quae, quod : qui ; interr. quel ? lequel ?
qui, quae, quod, pr. rel : qui, que, quoi, dont, lequel..., après
si,
nisi, ne, num = aliqui
quo, inv. :1. où ? (avec changement de lieu) 2. suivi d'un
comparatif = d'autant
recubo, as, are : reposer, rester couché
redeo, is, ire, ii, itum : revenir
requies, etis, f. : le repos
reueho, is, ere, uexi, uectum : ramener
sacer, cra, crum : sacré
sacro, as, are : consacrer
sacrum, i, n. : la cérémonie, le sacrifice, le temple
sero, is, ere, seui, satum : semer, engendrer
seruo, as, are : veiller sur, sauver
silua, ae, f. : la forêt
sisto, is, ere, stiti, statum : arrêter, s'arrêter
solum, i, n. : le sol
solus, a, um : seul
somnus, i, m. : le sommeil
sub, inv. : sous
subitus, a, um : soudain, subit
sum, es, esse, fui : être
sus, suis, f. : le cochon - f. : la truie
ter, inv. : trois fois
terreo, es, ere, ui, itum : effrayer
triginta, inv. : trente
Troianus, a, um : troyen
tu, tui : tu, te, toi
tumor, oris, m : le gonflement, l'enflure, l'emportement, le
courroux, l'orgueil, l'agitation
uanus, a, um : vide, creux, vain, sans consistance
uber, eris, n. : le sein, la mamelle
uiridis, e : vert
urbs, urbis, f. : la ville
Commentaires :
a) 3, 388 - 392
Enée fait escale chez Hélénus; c'est un Troyen,
il est devenu roi d'Epire et l'époux d'Andromaque, la veuve d'Hector;
de plus, il est réputé pour ses connaissances dans le domaine
de la divination. Avant qu'Enée ne reparte, il l'informe de son
avenir qu'il ne connaît que de manière partielle.
Ce qu'Hélénus annonce est un prodige : une truie blanche
à trente petits (1).
b) 8, 36 - 49 et 81 - 85
Enée est endormi sur les bords du Tibre; le dieu-fleuve lui apparaît
en songe.
Il lui confirme qu'il est arrivé au terme de son voyage, le rassure
(neu belli terrere minis) et lui annonce que la colère divine a
pris fin. C'est un peu surprenant, puisque Junon continue à susciter
des embûches aux Troyens et persévérera presque jusqu'à
la fin du poème. Cependant, il s'agit d'un combat d'arrière-garde
(et Junon elle-même le sait). En présentant le fait comme
passé, le Tibre ne fait qu'anticiper un peu sur le déroulement
des événements. Il est vrai qu'un immortel a sans doute
une autre
perception de la durée que les humains.
Ensuite, il reprend la prophétie d'Hélénus mot
à mot (la seule différence par rapport à 3, 390 -
393 est l'emploi de hic au lieu de is). Ici, la réalisation de
la prophétie a une fonction particulière : elle incite le
dormeur à ne pas se défier de la vision onirique. Comme
dans d'autres cas (2), le rêve est réel et pour éviter
que le dormeur en doute, il suffit de lui démontrer la cohérence
d'une chaîne "prophétie (autrefois, on t'a annoncé
que...) - confirmation (à ton réveil, la prophétie
sera réalisée) - réalité (Enée
découvre la truie blanche - voir suite).
Il n'empêche que l'objet de la prophétie d'Hélénus
étant un prodige, la question de la signification qu'il faut lui
attribuer reste entière. Le Tibre donne la clé du prodige
et par la même occasion prophétise lui aussi.
La truie blanche (alba) annonce la fondation d'Albe, les trente porcelets
symbolisent les années qui s'écouleront jusqu'à l'événement
prophétisé. Remarquons que cette dernière prophétie
nous propulse hors du cadre de l'Enéide. Mais qu'elle ne soit pas
confirmée dans l'oeuvre de Virgile ne change rien : le lecteur
sait que ce qui est ici annoncé s'est réalisé dans
un avenir qui est pour lui un passé.
A son réveil, Enée trouve l'animal fabuleux : la découverte
est décrite en écho à la prophétie (fetu,
albo, procubuit, litore, sus). Enée sacrifie la mère et
les petits à Junon (3).
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(1) Une truie a douze mamelles; les conditions d'élevage intensif
d'aujourd'hui permettent d'atteindre des portées de trente porcelets.
La portée de trente est donc tout à fait insolite.
(2) voir séquence III
(3) Le sacrifice de la truie est représentée sur l'Ara
Pacis.
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