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SÉQUENCE III : LE PRÉSAGE ET LE RÊVE

  IV. Les abeilles et la flamme (3)



     Id vero horrendum ac visu mirabile* ferri* :
     namque ore illustrem fama fatisque canebant*
     ipsam*, sed populo magnum portendere bellum.
     At rex sollicitus monstris, oracula Fauni*,
     fatidici genitoris, adit, lucosque sub alta
     consulit Albunea, nemorum quae maxima sacro
     fonte sonat saevamque exhalat opaca mephithim$.


VIRGILE, Enéide, VIII, 78-84

*mirabilis, e : voir v. 64
*ferri : inf. narratif (= fertur)
* canebant : S. s.-e.: vates
* ipsam : s.-e. futuram esse
* portendere : présager, annoncer s. s.-e. : id
*Faunus : dieu protecteur des troupeaux et des bergers (parfois assimilé au Pan grec); souvent considéré comme un des anciens rois du Latium;
c'est le cas ici
*mephitis : l'exhalaison sulfureuse (ses effets enivrants provoqueraient le délire divinatoire)


 ac, atque, conj. : et, et aussi
 adeo, is, ire, ii, itum : aller à, vers
 Albunea, ae, f. : Albunea (source près de Tibur)
 altum, i, n. : haute mer, le large
 altus, a, um : haut, profond, grand (métaph.)
 at, inv. : mais
 bellum, i, n. : la guerre
 bellus, a, um : joli, mignon
 cano, is, ere, cecini, cantum : chanter
 consulo, is, ere, sului, sultum : consulter
 exhalo, as, are : exhaler, dégager
 fama, ae, f. : la nouvelle, la rumeur, la réputation
 fatidicus, a, um : qui révèle le destin
 fatum, i, n. : le destin (surtout au pluriel)
 Faunus, i, m. : Faunus, Pan
 fero, fers, ferre, tuli, latum : porter, supporter, rapporter
 ferrum, i, n. : le fer (outil ou arme de fer)
 fons, fontis, m. : la source
 genitor, oris, m. : le père
 horrendus, a, um : horrible, terrible, terrifiant
 illustris, e : évident, marquant
 ipse, ipsa, ipsum : même (moi-même, toi-même, etc.)
 is, ea, id : ce, cette
 lucus, i, m. : le bois sacré
 magnus, a, um : grand
 maximus, a, um : superlatif de magnus : grand
 mephitis, is, f. : l'exhalaison sulfureuse
 mirabilis, e : étonnant, admirable, merveilleux
 monstrum, i, n. : tout ce qui sort de la nature, le monstre, la monstruosité
 nam, inv. : de fait, voyons, car
 nemus, oris, n. : la forêt, le bois
 opacus, a, um : opaque, ombré
 oraculum, i, n. : l'oracle
 oro, as, are : prier
 os, oris, n. : le visage
 populus, i, m. : le peuple
 portendo, is, ere, tendi, tentum : présager, prédire
 qui, quae, quod, pr. rel : qui, que, quoi, dont, lequel..., après si, nisi, ne, num = aliqui
 rex, regis, m. : le roi
 sacer, cra, crum : sacré
 sacro, as, are : consacrer
 sacrum, i, n. : la cérémonie, le sacrifice, le temple
 saeuus, a, um : cruel
 sed, conj. : mais
 sollicitus, a, um : inquiet, soucieux
 sono, as, are, sonui, sonitum : sonner, résonner, faire du bruit
 sub, inv. : sous
 uero, inv. : mais
 uerus, a, um : vrai
 uisus, us, m. : la vue

Commentaires :

     Après avoir, dans le chant 5, célébré, par des jeux en Sicile, l'anniversaire de la mort de son père Anchise, Enée croit voir l'ombre de son père qui lui annonce des guerres à venir et l'invite à gagner l'Italie.

     Dans le chant 6, accompagné de la Sibylle de Cumes, Enée descend aux Enfers, où il rencontre l'ombre de son père. Anchise dévoile à son fils, à larges traits, un avenir encore obscur et l'assure que la gloire accompagnera, au fil du temps, la nation qu'il va fonder en épousant Lavinia.

      Dans le chant 7, Virgile, soucieux de poursuivre son inventaire de la géographie historique italienne, mentionne les funérailles de la nourrice d'Enée, Caiète, à l'origine de la dénomination du promontoire et de la ville homonymes. Plus loin, en route vers le nord, la flotte longe le royaume de Circé, le promontoire et le mont qui portent son nom. Enfin, ils arrivent, joyeux, à l'embouchure du Tibre qu'ils remontent.

      Le poète nous présente le maître des lieux, le roi Latinus dont le grand-père, Picus, était fils de Saturne. Le roi et son épouse, la reine Amata, ont perdu un fils en bas âge. Il ne leur reste qu'une fille, Lavinia, en âge de se marier. Sur la liste des prétendants, Turnus est le préféré d'Amata. Il est beau, il est noble, il est son neveu. Mais, à plusieurs reprises, les dieux ont manifesté leur hostilité à ce mariage (1).

     Notre extrait est, à la fois, court et dense. Le poète :

     1. dresse rapidement le décor de la scène (59 - 60);

     2. annonce sa portée religieuse et politique (61 - 62);

     3. établit l'origine religieuse du peuple de Latinus (63);

     4. nous raconte un prodige (64 - 71);

     5. mentionne son interprétation politique par un devin (68 - 70);

     6. nous rapporte un second prodige : Lavinia s'embrase ! (71 - 77);

     7. nous dit le sens politique individuel et collectif que lui attribue le commentaire des devins (78 - 80);

     8. souligne l'inquiétude du roi qui va requérir les lumières de son père Faunus, l'inspiré (81 - 84).


     1. Les citoyens riches vivant dans les villes aimaient à planter des arbres dans le péristyle de leur domus (l'emploi de penetralia, le fond du palais, incite à situer la scène dans un tel cadre). Le caractère somptueux de ces plantations, les écrivains latins l'ont souligné, parfois critiqué, lorsqu'il prenait des proportions excessives. Virgile nous décrit donc un cadre familier de ses lecteurs.

     2. Mais il va y situer une scène dont le caractère religieux ne fait aucun doute : le laurier est un arbre sacré (sacra), consacré à Apollon, dieu des oracles, par le roi Latinus (sacrasse) et à ce titre intouchable (metu). Cette consécration par le roi entrait dans le cadre des fondations de villes (cum conderet arces).

     3. Le roi Latinus règne sur le peuple des Laurentes. Le laurier sacré est éponyme du peuple (ab ea nomen), son totem en quelque sorte.

     4. Par son bourdonnement, sa masse compacte, son mouvement en apparence irrésistible, un essaim d'abeilles peut évoquer la comparaison avec une armée d'invasion et faire craindre le pire. La comparaison figure déjà chez Homère (2).

     Mais la présence d'un essaim d'abeilles peut être, aussi un signe de la tendresse des dieux pour un homme (3).

     5. Un devin retient aussitôt l'interprétation guerrière (agmen) : un étranger venu de la mer avec son armée va prendre le pouvoir (dominarier) dans la ville des Laurentes.

     L'apparition de l'essaim d'abeilles doit être décodée élément par élément :

     a) l'essaim, c'est l'armée étrangère; il en a la cohésion et l'agressivité; cependant, le symbole est ambigu: les abeilles, incontestablement dangereuses, sont aussi dispensatrices de bien;

     b) leur itinéraire (de la mer à Laurentum) indique que l'armée est celle des Troyens ;

     c) le fait que les abeilles s'attachent au laurier montre que les Troyens s'installeront chez les Laurentes;

     d) de plus, c'est au sommet que les abeilles se fixent; les Troyens sont donc appelés à régner sur le pays.

     6. Aussitôt, un autre prodige immédiatement considéré comme négatif (nefas !) se manifeste. Comme c'était l'usage, semble-t-il, Lavinia assistait son père Latinus en train d'accomplir un sacrifice. S'est-elle trop approchée des flammes de l'autel ? Peut-être. Soudain, ses cheveux, son bandeau, son diadème prennent feu, sans qu'elle en souffre(4). Toute sa personne devient fluorescente. Ce feu symbolique se communique aisément au palais (tectis).

     7. Les interprétations vont bon train dans deux directions (horrendum, mirabile). Ce sera la gloire pour Lavinia (inlustrem, fama) et la souffrance pour la collectivité (populo, bellum).

     Les flammes qui embrasent la tête de Lavinia lui promettent la gloire et le partage du pouvoir. Cette interprétation n'est pas isolée :

     a) Le même prodige avait embrasé Iule, le fils d'Enée et au milieu de l'effroi général, son grand-père Anchise en avait remercié le ciel (5).

     b) Tite-Live nous relate un phénomène identique et lui donne le même sens positif qui apaise l'effroi de l'entourage au sujet du futur roi de Rome, Servius Tullius (6).

     Le second prodige contient aussi des signes ambigus : la flamme, symbole de la gloire annoncée à Lavinia, embrase le palais paternel; le guerre sera donc le prix à payer pour l'élévation de la fille du roi.

     8. Comme Anchise l'avait fait, Latinus, préoccupé (sollicitus), souhaite une confirmation divine des prodiges qu'il a vus. Il s'en va donc consulter l'oracle de son père Faunus, un spécialiste (fatidici). En fait, Latinus recourt à un autre mode de connaissance de l'avenir, moins ambigu que l'interprétation des prodiges : Faunus, en effet, lui répondra en clair (7). Le bois sacré (lucos), l'eau vive d'une fontaine tenue pour une résidence divine (sacra fonte), les vapeurs sulfureuses (opaca, mephitim) sont un cadre familier des oracles.

     La réponse de Faunus confirmera l'explication donnée aux prodiges : Lavinia ne doit pas épouser Turnus, mais l'étranger qui va venir. Ce mariage donnera à la descendance de Latinus notoriété et domination sur le monde.

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(1) 7, 45 - 58

(2) Iliade, 2, 86 - 89 (voir annexe)

(3) PLINE, HN, 10, 55

(4) Il est clair que les flammes ne causent aucun dommage ni aux personnes, ni aux bâtiments, puisque Virgile ne fait allusion nulle part aux blessures qu'aurait reçues Lavinia et que par ailleurs, les assistants n'ont aucune réaction de panique en présence de l'incident. Voir à cet égard les réactions lors de l'"embrasement" d'Iule et de Servius Tullius (voir annexe).

(5) 2, 679 - 694 (voir annexe)

(6) 1, 39

(7) 7, 96 - 101
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