Je vous dirai franchement en deux mots les gens que j'évite & que je ne puis souffrir. J'abhorre une ville toute grecque. Les Grecs ne sont pas cependant le plus grand nombre. Il y a long-tems que l'Oronte roule dans le Tybre ; & il y a long-tems que l'on voit regner à Rome, les murs, les discours, les instrumens & les Musiciens de Syrie [, et les filles que l'on prostitue près du cirque]. Romulus, vos Romains qui ne sçavoient autrefois ce que c'étoit que délices, qui menoient une vie dure & austere, sont maintenant perdus de mollesse ; ils sont vétus d'une robe comme nos Gladiateurs ; ils en font le métier, & pendent à leur cou tout embaumé, les marques de leur victoire. Au lieu que des étrangers se rendent maîtres ici de tout. L'un vient de Sicyone, l'autre de Samos. Celui-ci de Tralles, l'autre d'Amydon ; mille autres enfin, d'Andros & d'Alabande, viennent d'abord se loger sur le Mont Esquilin, & sur le Mont Viminal, pour s'insinuer ensuite dans les maisons des Grands, et les abîmer. Ils ont l'esprit vif & subtil ; ils sont d'une impudence achevée ; ils parlent avec plus de rapidité & d'éloquence qu'Isaeus. Que pensez-vous que soit un Grec ? C'est un homme universel : il est, à l'entendre, Grammairien, Rhéteur, Peintre, Géomètre, Baigneur, Augure, Danseur de corde, Médecin, Magicien : enfin il n'y a rien qu'il ne sçache. Commandez à un Grec affamé de monter aux Cieux, il n'hésitera pas. En un mot, Dédale n'étoit ni Thrace, ni Maure, ni Sarmate, il étoit Grec assurément, & né à Athènes. Et je n'éviterai pas la vûë de ces gueux qu'on voit maintenant vêtus de pourpre ? Quoi un Grec signera devant moi ? On le mettra à la place d'honneur dans un festin ? Cet esclave de Syrie qui est venu à Rome dans le même vaisseau que les prunes & les figues qu'on apporte de ce païs-là ? Tant il est vrai qu'il faut compter pour rien, d'avoir en naissant respiré l'air de Rome ! d'y avoir été élevé & nourri des excellentes olives de Sabine !