Voici une scène assez plaisante dont vous n'avez pas été témoin. J'étais absent aussi ; mais on me l'a contée à mon retour de Rome. Passiénus Paulus, illustre chevalier romain, et personnage fort savant, fait des vers élégiaques : c'est un goût de famille. Il est du pays de Properce, et même il le compte parmi ses ancêtres. Il lisait en public un ouvrage qui commençait par ces mots : Priscus, vous ordonnez... A cela, Javolénus Priscus, qui assisait à la lecture, comme intime ami de Paulus, s'empresse de répondre : Moi ! je n'ordonne rien. Imaginez-vous les éclats de rire et les plaisanteries qui suivirent. Javolénus n'a pas l'esprit fort sain. Cependant il prend part aux devoirs de la vie publique ; on le choisit pour conseiller dans nos tribunaux ; son opinion est même légalement admise dans les débats judiciaires, ce qui rend encore plus ridicule et plus remarqué ce qu'il fit alors. Cette extravagance, dont Paulus n'était pas responsable, ne laissa pas de refroidir un peu sa lecture : tant il importe à ceux qui doivent lire leurs ouvrages en public, non seulement d'être sensés eux-mêmes, mais encore de n'avoir que des gens sensés pour auditeurs ! Adieu.
Traduction de M. Cabaret-Dupaty,
Quelques pistes d'étude :
- L'art de Pline pour rendre l'incident plus extraordinaire : vers
élégiaques, illustre chevalier romain
Problème des homonymes dans les noms romains
qui ioci : on se moque facilement, l'atmosphère est détendue. Peut-être l'indication d'un décalage entre l'extrême concentration du lecteur et le silence encore poli, mais peut-être un peu distrait des auditeurs, qui n'acceptent pas complètement l'idée d'une longue lecture. L'incident les fait aussitôt retomber dans l'entrain qu'ils quittaient à regret.
aliquantum frigoris : indique l'exaltation nécessaire à la lecture : une bonne lecture doit être passionnée, et l'orateur doit ressentir profondément tous les sentiments qu'il veut communiquer. Cette péripétie fâcheuse désamorce la chaleur de sa diction. aliquantum est une réserve polie de la part de Pline.
La lettre a une parfaite unité. Pas de commentaire étranger à l'anecdote, en-tête et formule réduits au minimum. Le style lui-même est très lapidaire : ellipse du verbe, phrases brèves construites avec des appositions, sans conjonctives.