Dans cette seconde partie du dixième livre, les épigrammes se font plus profondes et plus graves.

10.25
Tu viens de voir, dans l'arène matinale,
        Mucius mettre sa main sur le réchaud ;
S'il te paraît stoïque, dur et brave,
        C'est que tu as le cœur de la plèbe abdéritaine.
En fait, en lui offrant cette triste tunique,
        On lui a dit : brûle-toi la main : répondre non lui aurait coûté plus cher.

           Pièce admirable, mais qui pour être comprise doit être abondamment expliquée :
  1. Mucius est bien sûr Scaeuola. Voir son histoire dans Tite-Live, ou Lhomond ;
  2. la plèbe abdéritaine : le peuple d'Abdère, en Thrace, qui doit avoir une réputation de grande ignorance. Apparaît ici en creux la fierté nationale de l'auteur ;
  3. cette triste (molesta) tunique : on comprend, en lisant d'autres épigrammes, que la tunique de Mucius est enduite de poix et d'autres substances très inflammables : si le condamné refuse de jouer son horrible rôle, on proposera aux spectateurs le spectacle d'un homme qui brûle tout entier.
  4. Relever l'hypallage, la métonymie, le pluriel poétique, et tenter d'expliquer l'abondance des figures.

10.47
Voici, Mon très cher Martial,
Ce qui rend la vie plus agréable :
Une fortune acquise sans douleur, par héritage ;
Un champ généreux, du feu toute l'année ;
Jamais de litiges, rarement la toge sur le dos, un esprit sans inquiétude ;
Les forces de l'homme libre, un corps sain ;
Une sage simplicité, des amis de sa condition ;
L'invitation facile, une sable sans recherche ;
Des nuits sans ivresse, mais sans soucis non plus ;
Un lit sans tristesse, et honnête pourtant ;
Le sommeil, qui fasse brèves les ténèbres :
Vouloir être ce que tu es, et n'y rien préférer ;
Et surtout, ne pas craindre, ni souhaiter le lendemain.

       Le thème manque un peu d'originalité. On étudiera surtout la breuiloquentia.

10.27
Tout le Sénat, Diodore, est invité à ton anniversaire,
       Et peu de chevaliers y manquent,
Et ta sportule s'élève à trois cents sesterces.
       Mais personne n'imagine que tu sois né, Diodore.

       Diodore est terne au point de n'avoir pas vraiment d'existence. Cette plaisanterie se retrouve chez de nombreux auteurs, et elle est sous-jacente dans l'Apocoloquintose de Sénèque.

10.46
Tu veux tout dire avec grâce, Mathon. Dis quelquefois
        Aussi bien, quelquefois mal, quelquefois ni l'un ni l'autre.

       C'est à dire : sois naturel. Remarquer la place de dic neutrum.

10.53
C'est moi le grand Scorpus, gloire du Cirque assourdissant,
que Lachesis jalouse, m'enlevant à la vingt-septième,
comptant mes palmes [au lieu de mes ans], crut être un vieillard.

       L'épitaphe était un genre très pratiqué. Elle est ici mêlée de plaisanterie, et d'une audace amusante envers la parque, non seulement jalouse, mais étourdie, ou elle-même sénile.


10.69
Tu donnes des gardiens à ton mari, Polla, et n'en reçois pas toi-même.
       C'est ce qu'on peut appeler, Polla, prendre pour femme un homme.

       Cette traduction n'est qu'un pis-aller décevant. Se marier, en latin, se dit différemment lorsqu'il s'agit d'un homme (uxorem ducere) ou d'une femme (nubere). Martial procède donc par exagération : Polla devient un homme, et son mari une femme.


10.76
Et tu trouves, Fortune, que c'est juste ?
Citoyen, non pas de Syrie, ni de Parthie,
Ni chevalier des estrades de Cappadoce,
Mais indigène de la plèbe de Remus et de Numa,
Doux, honnête, innocent ami,
Savant en l'une et l'autre langue,
qui n'a qu'un seul, mais grave défaut, celui d'être poète,
Mevius grelotte dans sa capuche brunâtre,
Incitatus le maquignon resplendit d'écarlate.

       Epigramme aux accents Juvénaliens, remarquable surtout par la contrepèterie finale. Les estrades de Cappadoce représentent les marchés aux esclaves où allaient s'approvisionner les revendeurs romains. Dans la Rome impériale, un esclave étranger pouvait être affranchi, s'enrichir et devenir chevalier.


10.84
Tu t'étonnes qu'Afer n'aille pas dormir ?
C'est qu'il dort avec celle, Cédicianus, que tu vois là.

       Méchant, tout simplement.